Eau

Ernst Zürcher était à Bourges pour nous parler du rôle clé des arbres et de leurs relations à l’eau

Ce lundi 10 juillet 2023, la Biocoop de Bourges a accueilli l’ingénieur-forestier et chercheur suisse Ernst Zürcher pour une conférence tout public intitulée « L’eau, les arbres et la vie sur Terre ». Cette manifestation était organisée par l’association « Arts, Sciences et Culture de l’Eau » (ASCE), présidée par Michaël Monziès. Devant une salle comble, l’auteur de « Les Arbres entre Visible et Invisible » (Actes Sud, 2016) a magistralement expliqué le rôle-clé des arbres et des forêts sur terre et la nécessité de les protéger, de les restaurer et de les gérer convenablement.

Ernst Zürcher s’est tout d’abord arrêté sur la photosynthèse, ce processus par lequel l’énergie lumineuse provenant du soleil est captée par la plante pour être convertie en énergie chimique. Pendant longtemps, il a été admis que la production d’une molécule de glucose (C6H12O6) par la plante résultait de la combinaison de six molécules de dioxyde de carbone (CO2) avec six molécules d’eau (H2O), tandis que six molécules de dioxygène (O2) étaient émises par ailleurs. Or, il s’avère que le processus de photosynthèse est bien plus complexe : d’une part, le dioxygène produit provient exclusivement de molécules d’eau du milieu ambiant (et non du dioxyde de carbone) ; d’autre part, une nouvelle eau est produite, qui tire son oxygène du dioxyde de carbone absorbé. La plante, et encore plus l’arbre, est donc « le lieu de la naissance de l’eau ». Des idées classiquement admises se trouvent dès lors battues en brèche : en zone équatoriale, par exemple, ce n’est pas parce qu’il fait chaud et humide qu’il y a des forêts ; c’est parce qu’il a des forêts qu’il fait chaud et humide. L’air est ainsi plus humide au-dessus de l’Amazonie ou du Congo qu’au-dessus de l’océan. Le bassin amazonien, notamment, peut être considéré comme un véritable « cœur climatique », attirant les masses d’air de l’Atlantique et les enrichissant en eau pour donner naissance à des pluies à l’ouest, à des distances éloignées de l’équateur, et peut-être même alimenter le Gulf Stream.

On comprend dès lors que les effets de la déforestation soient catastrophiques pour le climat. Détruire des forêts, c’est non seulement se priver de leur rôle-clé de « puits de carbone », mais aussi produire un dessèchement des terres localement et sur de grandes distances. Au Brésil, par exemple, les conséquences de la dégradation de la forêt amazonienne se font sentir à Sao Paulo, au sud. Les coupes rases s’avèrent particulièrement néfastes, parce qu’il se forme des fronts de coupe exposés à un rayonnement solaire intense, ce qui provoque un dessèchement des arbres mis à nus, et des risques d’incendies s’autoalimentant de façon accélérée et pouvant devenir incontrôlables.

Mais, les forêts jouent aussi un rôle-clé dans le maintien des grands flux écologiques de notre planète : elles accueillent les oiseaux migrateurs, qui reviennent toujours aux mêmes endroits et autorisent une communication entre continents ; elles permettent aux rivières de couler et de laisser remonter depuis la mer des espèces de poissons migrateurs comme les saumons, qui contribueront à nourrir des animaux terrestres. Une forêt peut donc être vue comme une « sylvosphère » où co-évoluent les arbres et les animaux, en lien avec l’eau.

Il nous faut donc sauver nos forêts. Mais pour cela, « pas besoin d’une révolution ! » affirme Ernst Zürcher. Faisant appel à la loi de Pareto, il précise qu’avec 20% d’efforts, on peut obtenir 80% d’effets. Il suggère donc de remplacer 20% des surfaces agricoles « par du ligneux ». Cela peut être sous la forme de systèmes bocagers en réintroduisant des haies, mais aussi en complantant des champs avec des arbres fruitiers, par exemple. Le chercheur souligne quelques points de vigilance : toujours replanter à partir d’un endroit où il y a encore des arbres ; veiller à « reconnecter le vivant au vivant » ; favoriser les mélanges d’espèces, bien plus productifs ; toujours maintenir un couvert forestier pour éviter le dessèchement des sols, en ayant recours à des coupes progressives ou à une forêt jardinée. « L’agriculture du futur, c’est une agriculture qui séquestre le carbone et cultive l’eau et la diversité » conclut ainsi Ernst Zürcher.

Avant d’échanger avec la salle, le forestier invite l’auditoire à participer au projet franco-suisse de la fondation Zoein « Les Sentiers du Savoir », qui vise à créer un réseau de lieux accueillant des personnes cheminant à pied pour se former à des pratiques écologiques innovantes, sur le modèle du compagnonnage.

14 juillet 2023

Sophie Allain